Un outil d'orthographe

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Une classe qui écrit, qui parle, qui diffuse, qui bourdonne. Et l’éternel problème de la maîtrise orthographique. Un problème que la diversité rend plus aigu dans ces écrits tous azimuts. Comment progresser en orthographe quand on est pris par d’autres intérêts, d’autres apprentissages. Quand on est d’âge et de niveaux différents… Je sais bien qu’en forgeant on devient forgeron. C’est pour ça qu’on a tant de fers au feu, en classe . Mais les enclumes sont si dissemblables, les marteaux si hésitants, si étourdis, parfois… Qui n’a jamais pesté contre les « fautes » qui reviennent, celles dont on sait que l’enfant sait, ou qu’il devrait savoir, et qu’il est sans excuse d’oublier encore le « s » du pluriel ou l’accord du verbe être, le « e » du féminin ou les terminaisons de l’imparfait… A quoi ça sert qu’on se décarcasse,  nom de Bled ! !

Bien sûr il y a les fichiers, ceux de PEMF, ceux que j’ai empruntés aux copains, ceux que j’ai fabriqués… Mais ce ne sont que des béquilles, quelquefois des étais. Souvent des placebos. Et les erreurs reviennent, narquoises, collantes, se moquant des fichiers comme de mes désespoirs. Ou de mes fureurs. Malgré leçons, dictées, conjugaison, correction individuelle, correction collective. Autant de traces dans le sable que je croyais sillons. Et que le vent d’Autan efface à tous les coups. Ou presque.

C’est compliqué, l’orthographe, ennuyeux, bouffeur de temps. Il me fallait donc un outil simple, rapide, motivant. Et beaucoup plus efficace…

Je suis tombé un jour sur le travail de Jean Le Gal, qui m’a paru très novateur. Et je m’en suis inspiré, avec mes propres adaptations, car le travail de Jean ouvrait des pistes nouvelles, mais très difficilement applicables,  telles quelles, en primaire.

Quelques idées simples ont guidé la démarche :

 

 1 -  Le code orthographique est général, mais l’orthographe est intime. Et chaque enfant fait ses propres « fautes ». S’il fait la même qu’un autre enfant, il n’est pas sûr que ce soit pour les mêmes raisons. Donc un outil personnalisé.

 2  -  Le code orthographique n’est qu’une convention, pas toujours logique ni explicable. Donc pas ou peu d’explications. Il faut un outil d’imprégnation.

 3 - L’imprégnation, c’est comme l’homéopathie : petites doses, souvent répétées. Donc courtes séances fréquentes.

 4  -  L’orthographe, à mon sens, passe par les yeux, par les oreilles et par la main. On la fait trop passer par la cervelle. Je crois à l’orthographe corporelle. Donc un outil simple.

5        - Et enfin, ce qui est ennuyeux a tendance à être évacué. La brièveté élimine l’ennui. Donc un outil  rapide.

 

A partir de ces quelques idées simples, voilà comment se passe l’orthographe dans ma classe, depuis plus de 10 ans maintenant…

 

J’ai toujours dans ma poche un bloc de papier auto-collant (style post-it 7 sur 7). Chaque fois qu’un enfant fait une erreur orthographique dans un écrit quelconque ( je dis bien tous les écrits, texte libre, lettre, exposé, recherche, compte rendu, fax, message, etc…) j’écris le mot ou l’expression sur un post-it, avec le nom de l’enfant dans un coin. Quelques secondes d’explication suffisent  si c’est une erreur d’accord, rien si c’est un mot d’usage. L’enfant corrige son erreur, puis va coller son post-it dans un coin réservé sur le mur de la classe (depuis 2 ans, on a trouvé mieux : une « pique » de bureau où l’on empale les petits papiers). C’est très rapide et l’erreur est « mise en réserve ». Très souvent, il s’agit de bouts de phrases ( nous sommes allés, c’est toi qui arrives, vous avez joué…). A la fin de la semaine, chacun récupère ses post-it dans la collection pour ajouter les mots à sa feuille d’apprentissage.

 

La feuille d’apprentissage

Chaque mot ou expression est inscrit sur une ligne, avec un numéro. Consigne stricte : il ne doit pas y avoir d’erreur sur cette feuille. Pour ceux qui ont du mal, c’est moi qui écris. Je contrôle rapidement toutes les feuilles. Il faut moins de 5 minutes, chaque enfant ayant entre 5 et 15 lignes à transcrire.

 

L’apprentissage

Fréquence :tous les jours, 2 fois par jour.

Durée: 4 minutes, chrono en main (il y a un responsable du temps en classe)

Consignes :

1        -  On lit le mot les yeux ouverts.

2        -  On lit le mot les yeux fermés.

3        -  On écrit le mot   les yeux  ouverts

4        -  On écrit le mot les yeux fermés.

( Ca vient du temps où j’avais des CP dans ma classe unique, fallait des consignes parlantes. Parce qu’on peut démarrer en CP, évidemment…)

Au début, ça les fait rire d’écrire les yeux fermés, mais ça passe vite !

 

Liberté : On apprend le nombre de mots qu’on veut.

On démarre et on arrête ensemble, au signal du contrôleur. Il n’y a aucun commentaire, sauf rappel des 4 consignes. Le responsable orthographe distribue les feuilles d’apprentissage au début et les ramasse à la fin. Au bout de 3 apprentissages ( il tient le compte sur une feuille qui reste dans la corbeille-orthog) il annonce : TEST.

Chacun prend alors la feuille du voisin et ils se dictent mutuellement. Chacun arrête son dicteur quand il le désire. Je contrôle rapidement. Mots erronés barrés. ON NE CORRIGE PAS (perte de temps et inefficacité ). L’enfant inscrit une croix dans la colonne 1 de sa feuille d’apprentissage, en face de chaque mot juste. Contrôle de l’instit et pointage des enfants sont très rapides. Quand l’enfant a 3 croix en face d’un mot ( 3 tests réussis), il raie ce mot au surligneur. Ce mot sort du champ d’apprentissage. Les progrès sont visibles sur la feuille. Périodiquement, tous les 2 mois environ, les mots ratés sont soumis à un test-mémoire. S’il y a erreur à nouveau, il est rajouté à la liste.

La numérotation a plusieurs utilités :

 =  chaque enfant, sur le bilan hebdomadaire vu par les parents, indique le nombre d’expressions acquises. Et c’est TOUJOURS un nombre plus grand que la fois d’avant…

 = chaque enfant calcule son efficacité ( nombre de mots acquis par rapport au nombre de mots à apprendre). Selon les cas, ce calcul peut servir à moduler l’apprentissage : dans ma classe, après discussion, les 20 et 30% ont une minute d’apprentissage de plus, qu’ils peuvent ou non utiliser. Les 80% ont le droit de ne plus apprendre. Jusqu’à ce que les mots s’ajoutant, le pourcentage baisse…

 =  La numérotation sert à visualiser les avancées de chacun, par la surface surlignée au fur et à mesure des réussites…

 

Exemple de début de feuille d’apprentissage :

___________________________________________

 

                    Nom : . . . . . . . .

! x ! x!    ! 1 ! nous sommes allés     !   !   !    ! 31 !  tout à coup  

!x   !   !   ! 2 ! elle est tombée           !x !x !   ! 32 !  ça va très vite

!     !   !   ! 3 ! on y va                         !x !  !   ! 33 !  l’attente 

!x   !x !x ! 4 !  le buffet                      !   !  !    !  34 !  on va y aller

!x   !   !   ! 5 ! un crâne dur                !x !x !   ! 35 ! de beaux instants 

!x   !x !   ! 6 ! des expressions           !   !    !   ! 36 ! c’est fantastique

! x !    !   ! 7 ! il ne faut  pas              !x  !   !   ! 37 !

!    !   !   ! 8 ! c’est ennuyeux

 

Constatations après plus de 10 ans d’utilisation :

 

Cet outil ne tient compte que des réussites..

Un échec, c’est seulement une future réussite.

J’ai vu des enfants s’acharner sur une erreur tenace, en faire une affaire personnelle jusqu’à la maîtriser et la rayer d’un trait victorieux.

Nous faisons entre 40 minutes et 1 heure d’orthographe par semaine sans aucune lassitude, sans presque s’en apercevoir ( avec 2 tests en moyenne par semaine)

Les « mauvais » en orthographe côtoient les meilleurs dans le nombre de réussites.

Chaque enfant a ses fautes-leitmotiv, un profil d’erreur, ce qui permet de l’aider à ajuster  par ailleurs son travail individuel (plan de travail)

Le fait d’utiliser des bouts de phrases contenant l’erreur évite une orthographe pointilliste, trop sèche.

Je crois que la main, comme l’œil, a une mémoire. Je ne saurais l’expliquer, mais l’imprégnation est réelle : une lacune dans les accords du pluriel, par exemple, se retrouve sous de multiples formes et l’enfant, peu à peu, extrapole sur des formes jusqu’alors inconnues de lui. Les accords s’ajustent au long de l’apprentissage empiriquement, pourrait-on dire.

Le réinvestissement n’est pas immédiat, mais il est réel si on a la chance d’avoir les enfants longtemps.(Depuis quelques années, les enfants arrivent dans mon cycle 3 avec les feuilles d’apprentissage du cycle 2, on est en RPI)

La feuille d’apprentissage permet un constat toujours positif des progrès réalisés.. Chez moi, elle suit les enfants l’année suivante. Les échecs ne sont jamais comptabilisés, seules les victoires apparaissent.

On trouve sur chaque feuille, à plus ou moins longue échéance, tout ce qui doit être « traité » en orthographe, vocabulaire, conjugaison. Sans trimer sur des leçons ou des exercices aussi stériles qu’ennuyeux.  Et quelle satisfaction de rayer une erreur surmontée : on grandit à chaque fois…

 

Cet outil, qui à priori paraît contraignant, nous laisse en réalité, aux enfants et à moi, une liberté  très grande. En ne s’embarrassant pas des cailloux sur la route de l’écrit. On met les cailloux en tas sur le bord du chemin, on les concasse petit à petit, sans nous perturber les essieux.

 

A remarquer toutefois que cet outil est avide d’écrit, de production, d’expression. Il s’en nourrit. Je crois que ça ne marcherait pas dans les endroits où l’on écrit sur commande. Pour faire la chasse aux « fautes », il faut qu’il y ait de grands espaces d’écriture.

On ne chasse pas dans les réserves…

 

 

                           Michel Barrios, in « Le Nouvel Educateur » n° 67, mars 9